lundi 7 avril 2014

Histoire de dette

« L'histoire montre que le meilleur moyen de justifier des relations fondées sur la violence, de les faire passer pour morales, est de les recadrer en termes de dettes; cela crée aussitôt l'illusion que c'est la victime qui commet un méfait. »

Vaste programme que de faire l'historique de la dette sur 5000 ans. C'est ce que tente l'auteur de ce livre, David Graeber, anthropologue anarchiste et inspirateur du mouvement Occupy Wall Street, en écorchant au passage bien des idées reçues, entre autres celle voulant que le troc ait été à la base de la création de la monnaie et de l'économie telles que nous les connaissons.

Ce livre foisonnant, par moments étourdissant, emprunte à l'anthropologie, à l'histoire, à l'économie et à l'étymologie. À elle seule, la bibliographie fait 75 pages. Le résumer est donc pratiquement impossible. Notons quand même quelques idées essentielles.
 
L'endettement est une construction sociale fondatrice du pouvoir et l'histoire de la dette en est une de guerre, de violence, de vol et d'esclavage. Et le système se perpétue aujourd'hui, avec moins de violence mais tout autant de puissance. Il est tenu pour acquis que lorsque les choses vont mal, ce sont les débiteurs qui sont en cause. Pourtant, qu'en est-il des institutions financières qui ont consenti des emprunts colossaux à des pays dirigés par des malfaiteurs et des dictateurs qui se sont enrichis aux dépens de l'immense majorité de leur population pauvre, laquelle ne profite même pas de l'argent emprunté qu'elle doit pourtant rembourser? En de rares occasions, la dette de certains pays a été effacée. Geste noble de la part des grandes puissances? Non, simple calcul que faisaient déjà les rois mésopotamiens (3000 ans avant Jésus-Christ) : Si l'on veut éviter l'explosion sociale, il faut savoir « effacer les tablettes ».

Si l'économie des pays occidentaux a été et demeure si florissante, elle le doit très largement à l'esclavage. La richesse s'est constituée grâce au travail de millions d'esclaves, privés de leur droit d'existence. À aucun moment, le capitalisme n'a été organisé en recourant essentiellement à une main-d'oeuvre libre. Nous vivons aujourd'hui une autre forme d'esclavage, beaucoup moins violent, mais un esclavage quand même, qui explique que nous devions travailler toutes nos vies pour rembourser nos dettes.

Il est étrange qu'en anglais le terme redemption signifie à la fois rédemption et remboursement : nos péchés sont rachetés et notre dette, remboursée. Ou que les mots guilt (culpabilité en anglais) et geld (argent) en allemand aient la même origine. La dette et l'argent sont associés à la culpabilité, celle des débiteurs désargentés.

« Comme nul n'a le droit de nous dire ce que nous valons, nul n'a le droit de nous dire ce que nous devons. »




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire